Jean-Sébastien Bach
18 juillet 1726
Quand je suis arrivé à Leipzig, à la Thomasschule, chez Jean-Sébastien Bach, des enfants couraient dans toute la maison au milieu d'un vacarme qui n'avait rien de musical ! Puis le Cantor est arrivé, la perruque encore mal peignée mais souriant, affable. Selon mon habitude, je retranscris fidèlement.
Alain Duault : Depuis quand êtes-vous installé ici, à Leipzig ?
Jean-Sébastien Bach : Depuis mai 1723, c'est-à-dire depuis que la ville m'a confié la direction de sa musique, voici trois ans.
A. D. : Ce qui consiste en quoi, précisément ?
J.-S. B. : Je suis le Cantor de l'église Saint-Thomas, la plus grande église de Leipzig, où je dois par ailleurs former les cinquante-cinq jeunes enfants qui me sont confiés - à l'exception de l'enseignement du latin que je laisse enseigner à ma place à Carl Friedrich Petzold (mais je lui verse pour cela cinquante thalers par an !) ; je dois par ailleurs assurer la direction des études musicales à l'Université et je suis aussi chargé de la direction musicale des quatre églises principales de Leipzig. Et, bien sûr, je dois fournir de la musique pour les services du dimanche et pour les fêtes, je dois diriger le choeur et l'ensemble instrumental de la ville, et tenir le clavecin pour l'exécution de mes cantates.
A. D. : C'est considérable !
J.-S. B. : Oui, mais c'est exaltant de travailler de tout son être à la gloire de Dieu !
A. D. : Pourtant vous avez aussi à assumer la direction de votre famille. Et c'est une grande famille !
J.-S. B. : Mais ma très chère femme, Anna Magdalena, y pourvoit avec toute sa tendresse, tout son amour, toute son ardeur.
A. D. : Elle est, je crois, votre seconde épouse ?
J.-S. B. : En effet, ma première épouse, Maria Barbara, qui m'a donné sept enfants, s'en est allée rejoindre le Seigneur en juillet 1720, alors que j'avais dû accompagner mon maître, le prince Léopold, à Carlsbad - et je n'ai hélas pu être auprès d'elle lors de ses derniers instants. Pour honorer sa mémoire, je lui ai rendu l'hommage d'une chaconne qui conclut ma deuxième partita pour violon.
A. D. : Comment avez-vous rencontré votre seconde épouse ?
J.-S. B. : En l'entendant chanter à Weissenfels durant l'été 1721 : elle avait vingt ans et cette voix très pure qu'elle ne peut plus, hélas, déployer aujourd'hui puisque, comme vous le savez, à Leipzig, les femmes ne sont pas autorisées à chanter dans les églises. Mais la musique occupe toujours son esprit et elle m'assiste grandement en préparant le matériel nécessaire à l'exécution de mes cantates. Et puis elle est gaie, si gaie : depuis notre mariage en décembre 1721, elle sait me faire rire, me confectionner des douceurs, entretenir notre jardin car elle a conçu une passion pour les fleurs, les oeillets en particulier. Et j'aime mes nuits avec elle puisque notre maître Luther a écrit dans son Traité sur la vie conjugale : «Aime ton épouse selon son gré. Deux fois par semaine ne feront ni de mal à toi ni à elle.»
(...)
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